Propriété intellectuelle

Intelligence artificielle et antériorités en droit des brevets

Le 30 avril 2024, le USPTO a lancé un RFC (Request for Comments) invitant le public à se prononcer d’ici au 29 juillet 2024 sur la possibilité que des contenus générés par des outils génératifs soient considérés comme des divulgations opposables destructrices de nouveauté (ou à prendre en compte pour apprécier le caractère inventif d’une invention), et l’impact que de tels outils peuvent avoir sur la notion d’homme du métier.

Cet RFP est la seconde étape d’un processus entamé par le USPTO le 13 février 2024 lors de l’adoption de directives en ce qui a trait aux inventions générées à l’aide de systèmes d’intelligence artificielle, dans lesquelles le USPTO reconnaît que de telles inventions sont susceptibles de donner lieu à l’octroi d’un brevet, pour autant que l’être humain ait joué un rôle contributif important et que l’octroi du brevet apparaisse comme une récompense justifiée d’un tel effort. Avec les progrès rapides de ces systèmes, la question de savoir à quel niveau le curseur doit être mis quant à cette contribution humaine demeure ouverte.

Si le recours à un système d’intelligence artificielle n’exclut donc pas, à mon sens à juste titre, la délivrance d’un brevet, autre est la question de savoir si l’état de la technique doit comprendre les contenus générés au moyen d’outils génératifs. Tel est l’objet du RFP lancé le 30 avril 2024.

Loin d’être académique, la question se pose avec d’autant plus d’acuité que certaines sociétés se font fort de générer des divulgations opposables au travers de tels outils, tel All Prior Art. Dans son blog, Ryan N. Phelan souligne le rôle central joué par l’être humain dans le système du droit des brevets, et l’importance attachée par les tribunaux américains au fait que l’invention comprend l’idée de “conception”, laquelle exige un acte mental propre à l’être humain (Univ. of Utah v. Max-Planck-Gesellschaft Zur Forderung Der Wissenschaften E.V., 734 F.3d 1315, 1323 (Fed. Cir. 2013)). A partir de là, Ryan N. Phelan en déduit que de telles antériorités pourraient ne pas être opposables faute d’avoir été “conçues” par un être humain.

C’est cependant oublié le fait que cette jurisprudence a été rendue en relation avec la question de savoir si une invention est brevetable, lequel caractère brevetable exige une contribution humaine. Or, une divulgation peut être opposable sans pour autant être brevetée, et donc sans nécessairement témoigner d’une “conception” humaine.

A partir du moment où le caractère nouveau de l’invention s’apprécie de manière objective sur le plan mondial, on peut donc se demander si de tels contenus générés par des outils génératifs ne devraient pas “objectivement” faire partie de l’état de la technique. Tout au plus la question pourrait-elle se poser de savoir si une antériorité qui n’est pas suffisamment “reduced to practice” pour reprendre la terminologie américaine, et qui ne permet pas à un homme du métier de l’exécuter devrait être opposable; sans doute la question devrait-elle être négative.

Le développement de ces outils pose donc des questions fondamentales quant aux processus d’innovations et au rôle joué en la matière par le droit des brevets. A une époque où des innovations pourraient être le résultat de plus en plus fréquent du recours à des outils génératifs, la question se pose fondamentalement de savoir ce qui devrait ou ne devrait pas être protégé, et à quelles conditions. Faudrait-il repenser le concept de nouveauté? Celui d’homme du métier? Faudrait-il n’accorder de brevet qu’à celui qui non seulement “conçoit”, mais qui va également être en mesure d’exploiter l’invention sur le plan industriel? Les questions sont nombreuses, les pistes possibles pour y répondre le sont tout autant. Ces réponses et leur mise en oeuvre auront une incidence considérable. A chacun de contribuer à cet effort de réflexion, qui mérite assurément une approche global et collective.