Artificial Intelligence

Intelligence artificielle et droit d’auteur : la position des Etats membres de l’UE

Le 20 décembre 2024, la Présidence du Conseil de l’Union européenne a publié un résumé des réponses des États membres à un questionnaire politique sur la relation entre GenAI et droit d’auteur. Bien que l’on puisse parfois deviner quel Etat membre se cache derrière un point de vue donné, il est regrettable les points de vus exprimés ne soient pas clairement liés à un Etat déterminé. Le document fournit néanmoins des indications utiles sur les perspectives actuelles, qui peuvent être résumées comme il suit :

  • La majorité des Etats membres expriment le besoin d’avoir des clarifications en ce qui concerne l’exception de texte et fouille de données (data mining), tant en ce qui concerne son applicabilité à l’entraînement d’un système l’IA (certains États membres faisant valoir que cette exception ne concerne que le droit de faire de la “reproduction et de l’extraction” et ne s’étend pas aux systèmes qui sont ensuite rendus publics ou commercialisés) que la manière dont le mécanisme de opt out prévu par l’art. 4 de la Directive 2019/790 peut être mis en œuvre (en soulignant la position donnée par le gouvernement de Hambourg dans l’affaire LAION, selon laquelle une disposition contractuelle figurant dans des conditions générales suffirait). Une majorité d’États membres soulignent la nécessité de disposer de normes communes pour l’exercice de l’opt-out, éventuellement par le biais des travaux actuellement menés sur cette question par le groupe de travail sur l’infrastructure du droit d’auteur (CITF), ou au d’un portail en ligne faisant état des solutions possibles pour une telle mise en œuvre. Compte tenu du fait que la plupart des systèmes d’IA sont développés en dehors de l’UE, certains États membres se sont interrogés sur la véritable portée de cette exception et sa possible mise en œuvre à l’encontre de ces fournisseurs (en référence au considérant 106 du Règlement). A cet égard, on peut mentionner que le professeur Peukert a récemment abordé cette question. Peukert semble plutôt d’avis que cette disposition devrait également s’appliquer aux fournisseurs sis à l’étranger, mais il fait cependant toujours référence à l’emplacement du serveur comme critère pertinent probable, ce qui pourrait relativiser la portée de son avis).
  • Une majorité d’États membres considère qu’ il n’est pas nécessaire de créer un droit sui generis sur le contenu généré par l’IA (comme l’a fait l’Ukraine) ou de modifier les lois existantes sur le droit d’auteur (si un tel droit devait néanmoins être créé, une durée de protection plus courte que la durée habituelle du droit d’auteur serait alors appropriée).
  • En ce qui concerne la transparence des suggestions générées, la plupart des Etats membres considèrent qu’il convient de voir en un premier temps comment le Règlement sera mis en œuvre avant d’introduire de nouvelles obligations de transparence (certains Etats considèrent du reste que seul le contenu généré par l’IA devrait déclencher une telle obligation, par opposition au contenu assisté par l’IA).
  • Plusieurs États membres considèrent que le régime actuel d’opt-out de l’art. 4, paragraphe 3, de la directive DSM conjugué aux obligations de transparence prévues par le Règlement devraient suffire à stimuler les accords entre les titulaires de droits et les fournisseurs pour éviter d’éventuelles actions en justice sans qu’il ne soit nécessaire de légiférer en la matière. Une majorité d’Etats souligne toutefois que, compte tenu de l’ampleur de l’exploitation de contenus protégés par droits d’auteur, la gestion collective devrait jouer un rôle accru pour défendre les titulaires de droits. Bien qu’un nombre important d’États membres considèrent corollairement que la mise en place de systèmes de rémunération est souhaitable (une approche que certains désapprouvent cependant, considérant qu’une approche de licence individuelle permettant aux titulaires de droits d’exercer leurs droits exclusifs ne devrait être écartée que si l’existence d’une défaillance du marché est démontrée), les avis divergent quant à la manière dont ces rémunérations devraient être perçues : convient-il d’instaurer un système de gestion collective obligatoire ou un système de licence collective étendu ? Si la question demeure indécise, Les États membres s’accordent en revanche à dire que ces systèmes de rémunération devraient faire une distinction entre les PME, les start-ups et les grandes entreprises technologiques afin de garantir la compétitivité et d’éviter une plus grande concentration du marché. Une solution commune en matière de licences pour l’ensemble du marché de l’UE a été jugée – à juste titre – souhaitable pour l’ensemble du marché de l’UE.
  • A ce stade, les États membres estiment qu’il n’est pas nécessaire d’introduire un régime de responsabilité spécifique en ce qui concerne la violation du droit d’auteur dans le contexte de la GenAI.
  • Même si ce point n’est que mentionné, il est intéressant de noter que certains États membres proposent d’établir une présomption d’utilisation des contenus protégés et de transférer la charge de la preuve aux fournisseurs pour démontrer qu’une œuvre spécifique n’aurait pas été utilisée pour entraîner leur modèle ou système. Il s’agit là d’un point essentiel. Sans aborder ici la question de fond de savoir si les droits d’auteur sont violés ou non, les litiges en cours aux États-Unis montrent que les fournisseurs contestent la qualité pour agir des titulaires de droits d’auteur en faisant valoir que c’est à eux qu’il incombe de démontrer que leurs oeuvres ont été ingérées comme données d’entrée; inutile de préciser que l’obstacle est particulièrement élevé si l’on tient compte de l’asymétrie d’information entre les parties en ce qui concerne ces modèles (à cet égard, je doute que certains outils comme <haveibeentrainedon.com> soit considéré suffisant pour une telle démonstration). Une telle présomption réfutable serait, à mon avis, plus que bienvenue. Compte tenu de l’abandon du projet de directive sur la responsabilité en matière d’IA, on peut toutefois douter que l’établissement d’une telle présomption ne voit le jour, un point qui pourrait fortement décourager les plaideurs.
  • Enfin, les États membres ont souligné la nécessité d’une coopération internationale qui pourrait être menée par le Comité permanent du droit d’auteur et des droits connexes (SCCR) de l’OMPI, certains se demandant là encore comment le cadre règlement posé par l’UE pourrait être appliqué aux fournisseurs d’IA sis à l’étranger, sans avoir à se poser la question de l’emplacement du serveur.